Pierre Béteille, un magistrat sous surveillance…

Une note de la direction centrale des Renseignements généraux sur Pierre Béteille confirme la participation du juge d’instruction à l’affaire du « complot de Je Suis Partout » ainsi que son implication dans l’arrestation du Comte Thierry de Ludre (abattu sommairement au cours du repli de la prison militaire de Paris, le 15 juin 1940). Ce que l’extrême droite a qualifié de « complot » semble bien avoir été initié par Georges Mandel, ministre de l’Intérieur, Roger Langeron, préfet de Police, Jacques Simon, directeur des renseignements généraux, Christian Louit, commissaire principal… et Pierre Béteille. Le passé de militant socialiste du jeune Béteille explique aussi les raisons de sa mise sous surveillance par le régime de Vichy et sa police nationale, alors dirigée par René Bousquet.

Note des RG sur le juge d'instruction Pierre Béteille et son implication dans l'arrestation de certains membres du journal fasciste Je Suis Partout.

Bien que non datée, cette fiche a vraisemblablement été rédigée au début de l’année 1943.
Pierre Béteille, né le 29 février 1896, est alors âgé de 47 ans. De plus, la marque d’un tampon indique que la note a été « exploitée le 29 juillet 1943 ».

Retranscription intégrale de la note des RG :

Pierre BETEILLE, Juge d’instruction au Tribunal de la Seine. 47 ans, né le 29 février 1896 à Paris. Il a fait ses études à la Faculté de droit de Toulouse

I° – Il était le chef des « Faucons rouges » de Toulouse, chef des étudiants blumistes
de Toulouse
et il participait à toutes les opérations électorales blumistes de Toulouse et de la région.

II° – Le Gouvernement Albert Sarraut l’a nommé juge d’instruction près le Tribunal de la Seine le 29 mai 1936.

III° – Le Gouvernement Blum-Dormoy-Marc Rucart-Vincent Auriol en a fait « son » juge d’instruction. C’est à lui, en effet, que Blum, Président du Conseil, Dormoy, Ministre de l’Intérieur, Rucart, Ministre de la Justice, ont confié le procès de la Cagoule et du Csar contre Moreau de la Meuse, Méténier, le Général Duseigneur, le Colonel Benoit, Jacques Corrèze, Deloncle, Fauran, Locuty, Tenaille, Bernollin, Billecoq, etc… Il a été le servile domestique de Blum, de Dormoy, de Marc Rucart.

IV° – Il a été mobilisé dans la justice militaire en septembre 1939.

V° – Lorsque Paul Reynaud et Mandel ont imaginé avec Langeron, Préfet de Police, Simon, Directeur des Renseignements Généraux et surtout avec Christian LOUIT, Commissaire principal [suit un texte surligné au crayon bleu pour en masquer la lecture : « chef de la brigade spéciale
(le service que dirige maintenant le commissaire David) »] le complot Dominique Lesca, Alain Laubreaux, Comte Thierry de Ludre, Brasillach, etc… enfin le complot de « Je Suis Partout », ils ont fait revenir Béteille à Paris et ils l’ont nommé Juge d’Instruction près le Tribunal militaire de Paris et c’est lui qui a décerné les ordres d’arrestation contre Alain Laubreaux, Dominique Lesca, Thierry de Ludre, etc…
Les rapports avaient été rédigés par le Commissaire Christian LOUIT, la plus complète « crapule ».
Le commissaire du Gouvernement près le Tribunal militaire de Paris était M. BACQUART, Conseiller d’Etat, qui a trahi tous les Gouvernements les uns après les autres et qui est réputé pour sa servilité, son esprit belliciste et anti-collaborationniste (c’est sans doute pour cela qu’il est l’un des Présidents de la Commission de révision des naturalisations
[suit un texte surligné au crayon bleu, en partie lisible : « dont se préoccupe H……… M. »]

VI° – Le Gouvernement de l’Amiral Darlan a nommé Béteille Conseiller à la Cour d’Appel de Paris ! Cela juge les deux hommes. Mais Béteille n’a pas osé rentrer à Paris. Que fait-il ?

VII° – Béteille, Conseiller à la Cour de Paris remplit les fonctions de simple greffier auprès de la Cour Suprême de Riom et c’est lui qui rédige les procès-verbaux contre ses anciens ministres : Léon Blum et Cie. Il ne faut pas s’étonner si le Procès de la Cour de Riom était une pure comédie.

Une mention a été rajoutée au crayon bleu : « Faire avec cela liste d’information 28-7 »
Un tampon à l’encre violette précise : « Exploité le 29 JUIL 1943 »

Source : Archives nationales, F-7-15313

Couverture du livre de Pierre Béteille sur le procès de Riom.

Quelques étapes de son parcours…

Entre 1936 et 1939, Pierre Béteille est chargé d’instruire les affaires des ligues dissoutes
et de « la Cagoule »
(CSAR, Comité secret d’action révolutionnaire, situé à l’extrême droite)

Après la Libération, il est nommé à la commission d’instruction pour la Haute Cour de Justice en charge des présidents du Conseil (Philippe Pétain, Pierre Laval, Pierre-Étienne Flandin et Camille Chautemps) ainsi que des secrétaire d’État à la présidence du Conseil (Jacques Benoist-Méchin, Henri Moysset et Fernand de Brinon).

En avril 1957, le gouvernement Mollet crée une
« Commission permanente de sauvegarde des droits et libertés individuels », dirigée par Pierre Béteille,
conseiller à la Cour de cassation.

Pierre Béteille est co-auteur avec Christiane Rimbaud, de l’ouvrage « Le procès de Riom », Plon, 1973.

2 Commentaires de l'article “Pierre Béteille, un magistrat sous surveillance…”

  1. Tietie007 dit :

    Annie Lacroix-Riz s’appuie beaucoup sur les rapports Béteille pour étayer les liens entre Pétain et la Cagoule. Mais Béteille m’a l’air d’un juge politique qui a mangé à tous les râteliers et qui charge la barque pour noircir l’image Pétain, en ces temps d’épuration.

  2. […] Pour en savoir plus lire le billet de Jacky Tronel | samedi 28 août 2010 sur le site de Prisons-cherche-midi […]

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