Henri Bourgund, fusillé pour l’exemple sur ordre du général Pétain

Exécution le 3 juin 1918, près du hameau de Oostduinkerke (Flandre Occidentale), d'Aloïs Walput, volontaire belge du 2e Grenadiers, âgé de 21 ans.

Le 6 septembre 1914, le général Joffre, commandant en chef des armées françaises du Nord-Est, déclare : « Au moment où s’engage une bataille dont dépend le salut du pays, […] aucune défaillance ne peut être tolérée ». Joffre obtient que soient créés des conseils de guerre spéciaux qui ont tout pouvoir pour rendre des jugements sans appel et prononcer des condamnations à la peine de mort immédiatement exécutables.

Pendant toute la période de la Première Guerre mondiale, 2400 soldats sont condamnés à mort pour refus d’obéissance, mutilations volontaires, désertion, abandon de poste devant l’ennemi, délit de lâcheté ou mutinerie… 675 d’entre eux sont fusillés pour l’exemple, les autres voient leur peine commuée en travaux forcés.

Le dossier d’Henri Bourgund, « fusillé sans jugement », est révélateur de l’état d’esprit qui règne alors dans les rangs de l’État-major de l’armée. Contre toute attente, Joffre y paraît davantage soucieux d’équité et de justice que les généraux Pétain et Barbot, partisans quant à eux de méthodes plus expéditives…

Rapport du chef de bataillon Fournier sur l’exécution de Bourgund

Daté du 20 mars 1915, ce rapport établit les faits tels qu’ils apparaissent dans le journal de marche du bataillon. À la date du 8 novembre 1914 figure la mention : Exécution du Chasseur Bourgund du 60e Bataillon, condamné à mort pour avoir abandonné son poste en présence de l’ennemi et déserté à l’intérieur.

« Des renseignements recueillis auprès des témoins, il ressort que le chasseur Bourgund ayant quitté son bataillon a été pris en subsistance par le 57e Bataillon, 9e Compagnie. Ce chasseur avait l’habitude, chaque fois que sa compagnie se trouvait engagée, de quitter la ligne de combat sous des prétextes futiles et de rejoindre lorsque le danger était écarté ; il avait pour ce fait répété, reçu des observations et même des punitions.

Lors des combats de Saint-Laurent [Saint-Laurent-Blangy, Pas-de-Calais], ce chasseur disparut à nouveau de sa compagnie, ramené quelques jours après, il fut incarcéré et une plainte en Conseil de guerre établie contre lui.

Ce chasseur a été condamné à mort et fusillé par une section du 97e Régiment d’infanterie à Sainte-Catherine (dans un pré à la lisière Est de Ste-Catherine et au Nord de la Scarpe), où il est inhumé.

Les deux médecins du bataillon ont assisté à l’exécution. Aucune pièce officielle relatant l’exécution du chasseur Bourgund ne figure dans les archives du bataillon ».

Le général Barbot présente sa version des faits

Le 25 mars, le général Barbot commandant la 77e Division adresse un courrier au Général Pétain, commandant le 33e Corps d’Armée, dont voici quelques extraits :

« À chaque engagement de sa compagnie, ce chasseur disparaissait et rentrait ensuite, le danger écarté. Il avait déjà été signalé à Tilloy, les 2 et 3 octobre ; mais la période agitée traversée par la division dans le courant d’octobre, ainsi que le changement de bataillon du chasseur Bourgund n’avaient pas permis, tout d’abord, d’élucider les fautes reprochées à cet homme.

Au cours des combats soutenus par la division à St-Laurent (20 au 26 octobre), Bourgund quitta à nouveau sa compagnie à laquelle il fut ramené quelques jours plus tard. Il avait été trouvé en civil à Arras. Il fut alors emprisonné et le Commandant du 57e Bataillon établit un rapport sur les faits qui lui étaient reprochés.

Jugeant que des exemples immédiats étaient nécessaires pour le maintien de la discipline, je vous demandai, le 7 novembre, après examen du dossier du chasseur Bourgund, de le faire passer par les armes, son crime étant hors de doute.

Sur réponse affirmative de votre part, cet homme fut exécuté le 8 novembre par un piquet du 97e Régiment d’Infanterie, dans les conditions indiquées sur le rapport du Commandant du 57e Bataillon de Chasseurs. »

Lettre de justification du général Pétain

Le 26 mars 1915, le général de division Pétain, commandant le 33e Corps d’Armée, adresse une lettre au général de Maud’huy, commandant la 10e Armée, lettre dans laquelle il justifie et revendique l’ordre d’exécution immédiate prononcé par lui-même :

Extraits : « Les faits tels qu’ils sont rapportés sont parfaitement exacts. Le 7 novembre, le général commandant la division m’a transmis la plainte établie contre le chasseur Bourgund. Il me faisait remarquer, qu’en raison de la situation très difficile dans laquelle se trouvait sa division et des défaillances qui s’étaient produites peu auparavant, il lui paraissait nécessaire de faire des exemples et de procéder sans délai à la répression des fautes commises. Il concluait en me demandant l’autorisation de faire passer par les armes le chasseur Bourgund sur la culpabilité duquel il ne pouvait exister aucun doute.

J’ai donné l’ordre de procéder immédiatement à l’exécution de ce chasseur, estimant alors, comme encore maintenant, qu’en des circonstances pareilles, il est du devoir du commandement d’assurer de semblables responsabilités. »

Lettre manuscrite du Général de division Pétain  adressée au Général Maud’Huy commandant la 10e Armée, du 26 mars 1915. Lettre manuscrite du Général de division Pétain au Général de Maud’huy, du 26 mars 1915. Lettre manuscrite du Général de division Pétain au Général de Maud’huy, du 26 mars 1915. Lettre rectoLettre verso

Le général Joffre désavoue son homologue, le général Pétain

Le 7 avril 1915, le général Joffre, commandant en Chef des Armées, adresse un courrier au général Foch, commandant en chef adjoint de la zone Nord.

« Vous m’avez transmis le 28 mars 1915 sous le N° 9343 des rapports relatifs à l’exécution le 8 novembre 1914 du chasseur Bourgund, du 57e Bataillon de chasseurs à pied. Ce militaire a été fusillé, pour abandon de poste en présence de l’ennemi et désertion à l’intérieur, sans jugement, sur la demande du Général commandant la 77e Division.
La nécessité d’une répression immédiate dans l’intérêt de la discipline, invoquée pour justifier cette mesure, aurait pu recevoir satisfaction par la comparution de Bourgund devant un conseil de guerre spécial réuni sans délai dans son bataillon, alors qu’il ne s’agissait pas de forcer l’obéissance au cours même du combat, de concilier ainsi les exigences impérieuses de la discipline avec les garanties dues à un accusé.
Je vous prie de porter ces observations à la connaissance des Généraux commandant le 33e Corps d’Armée et la 77° Division. »

Joffre en réfère au ministre de la Guerre

Ce même 7 avril 1915, le Général Joffre écrit au Ministre de la Guerre, Alexandre Millerand : « En réponse à votre dépêche N° C/82 du 10 mars 1915, j’ai l’honneur de vous adresser les rapports relatifs à l’exécution du chasseur Bourgund (Henri), du 60e Bataillon de chasseurs à pied, en subsistance au 57° Bataillon.
Ce militaire a été fusillé le 8 novembre 1914, sans jugement, par ordre du Général commandant le 33e Corps d’Armée, sur la demande du Général commandant la 77e Division, pour avoir abandonné son poste en présence de l’ennemi et déserté à l’intérieur.
J’adresse par courrier de ce jour aux Généraux commandant le 33e Corps d’Armée et la 77e Division, des observations, dont vous trouverez ci-joint copie, pour que pareil fait ne se renouvelle pas
. »

Note ministérielle au sujet des exécutions capitales

Cette note du 6 juin 1915, archivée dans le dossier Bourgund, est rédigée par le colonel Buat, chef du cabinet du ministre de la Guerre Alexandre Millerand :

En voici les termes : « J’ai été informé que des exécutions capitales avaient eu lieu dans des conditions inutilement aggravantes. Des condamnés auraient eu à parcourir un long trajet avant d’être fusillés. Des enfants, attirés par le mouvement des troupes auraient pu s’approcher et assister à l’exécution. Des musiques auraient joué au retour des troupes.
Je vous prie de donner des instructions pour que ces faits ne se reproduisent pas. Vous voudrez bien, notamment, prescrire qu’il soit procédé à l’exécution en un point aussi rapproché que possible de l’endroit où le condamné à mort se trouve détenu. Les mesures d’ordre nécessaires seront également prises pour écarter la population civile du lieu d’exécution.
Je vous rappelle en outre, que les Armées n’ont pas qualité pour avertir les familles du décès des militaires. C’est au Ministre, d’après l’instruction du 29 octobre 1910 (B.O. E.M. Vol. 28, p. 174), qu’il appartient de faire donner cet avis. Les autorités militaires ne doivent donc fournir aucun renseignement aux familles sur les décès par suite d’exécution. Le Ministre est prévenu de la mort par l’envoi qui doit lui être fait (service intérieur, bureau des Archives administratives) de l’expédition de l’acte de décès.
Il reçoit également (direction du Contentieux et de la Justice militaires) le dossier d’exécution qui lui est envoyé par mon intermédiaire. »

En savoir plus sur les « fusillés pour l’exemple »…

Exécution au cours de la Première Guerre mondiale.

La photo ci-contre a été reprise par différents médias, car il s’agit probablement de l’une des rares photos montrant une exécution pendant la Première Guerre mondiale. Elle est souvent décrite comme une exécution pour désertion effectuée en 1917, mais une raison milite contre cette date. L’habillement des soldats français sur la photographie date du début de la Première Guerre mondiale, en 1914 ou en 1915, pas plus tard. À cette époque par ailleurs, les exécutions pour désertion, du côté français, étaient souvent faites devant de nombreux soldats pour démontrer ce qui leur arriverait s’ils désertaient. Sur cette photo, l’exécution est faite en groupe restreint, il est donc peu probable qu’il s’agisse d’une exécution pour désertion. Il est plus probable qu’il s’agisse de l’exécution d’un espion, ou d’un « mouchard ». Source : Paris, Bibliothèque Nationale. Visible ici

Légende de la photo du haut : Exécution le 3 juin 1918, près du hameau de Oostduinkerke, d’Aloïs Walput, volontaire belge du 2e Grenadiers, âgé de 21 ans. Source : LDH Toulon, « Pour la réhabilitation des ‘fusillés pour l’exemple' », source.

Le dossier Bourgund a été consulté au Service historique de la Défense, département de l’armée de Terre, Vincennes. Au moment de la consultation, il était coté « sous-série 11 J, carton 25 ».

Lire : Fusillés pour l’exemple – 1914-1915, Général André Bach, Éditions Tallandier, Paris, 2003.

Voir l’inventaire dressé par Nicolas Veysset : Fusillés de la Grande Guerre. Campagne de réhabilitation de la Ligue des Droits de l’Homme, 1914-1934. [F delta 1836] consultable à la BDIC, Nanterre.

Voir le blog d’Éric Viot, pacifiste, militant pour la réhabilitation des fusillés de la première guerre, auteur du roman Les blessures de l’âme, Société des Écrivains, 2007.

4 Commentaires de l'article “Henri Bourgund, fusillé pour l’exemple sur ordre du général Pétain”

  1. FERON GEORGES dit :

    Je recherche des indices sur mon grand-père FERON Joseph Mathieu, né à Jamoigne [section de la ville belge de Chiny située en Région wallonne dans la province de Luxembourg], le 22/10/1880. Son nom est inscrit sur le monument aux morts de cette ville, mais je ne sais pas où il est décédé et enterré et dans quelles circonstances il a été fusillé. Je recherche quelqu’un qui pourrait me conseiller pour mes recherches. Il serait décédé le 24/10/1918.
    Je vous remercie mais je n’ai pas beaucoup d’espoir. J’ai 76 ans, ancien légionnaire, merci.

  2. DELHEZ JC dit :

    Pas beaucoup d’espoir ? Et pourtant.
    Joseph Féron n’a pas été fusillé, il est mort de la grippe espagnole. Enterré le 26 octobre à Jamoigne.

  3. Jacky Tronel dit :

    Merci Jean-Claude pour l’info.
    En savoir plus : lien
    JT

  4. DELHEZ JC dit :

    A propos d’histoire pénitentiaire, ou plutôt judicaire, quand j’ai travaillé, il y a quelques années, sur les questions d’espionnage en 14-18, j’ai compulsé des dossiers de justice militaire pour des cas d’agents incarcérés puis fusillés mais, curieusement, plus aucun document les concernant n’y figurait. Il ne faut pas oublier que, parmi les fusillés par la France, il y a de nombreux espions avérés, français ou étrangers, civils ou militaires.

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