Un Centre de séjour surveillé oublié : la Villa Julia à Bayonne


Extrait d'un rapport d'inspection du 26 janvier 1942 prouvant l'existence d'un centre de séjour surveillé à Bayonne, nommé Villa Julia, créé le 11 février 1941.

À la suite des décrets du 12 octobre 1938 concernant « le contrôle et la surveillance des étrangers » et du 18 novembre 1939 relatif aux « indésirables français », une nébuleuse de lieux d’enfermement participe de la politique d’exclusion initiée par la Troisième république et que va s’empresser d’amplifier le régime de Vichy.
Quantité de petits centres de séjour surveillé apparaissent puis disparaissent, sans laisser la moindre trace dans les mémoires. Ainsi en va-t-il du centre de séjour surveillé situé boulevard Jean d’Amou, à Bayonne… cependant qu’un rapport d’inspection daté du 26 janvier 1942 révèle l’existence de ce centre de séjour surveillé connu sous le nom de « Villa Julia ».

Un CSS pratiquement méconnu

À ma connaissance, la seule référence historiographique à ce CSS (Centre de Séjour Surveillé) revient à Peter Gaida qui a soutenu en 2008 une thèse de doctorat sur le thème : « Camps de travail sous Vichy : les “groupes de travailleurs étrangers” (GTE) en France et en Afrique du Nord 1940-1944 ».
Dans le cadre de sa recherche sur le camp de Mérignac (Gironde), il écrit : « Un autre “centre de séjour surveillé” est installé à Bayonne dans une villa (« Villa Julia ») qui héberge en décembre 1941 34 Espagnols internés pour défaut de carte d´identité. » La note infrapaginale qui suit renvoie aux Archives départementales de la Gironde (A 8), rapport du sous-préfet de Bayonne du 29 décembre 1941. Lien

Texte du rapport d’inspection du Centre de séjour surveillé de la « Villa Julia »

Voici le texte intégral du rapport du 26 janvier 1942, conservé aux Archives nationales (F/7/15104) :

1 – Situation générale
La Villa Julia, située boulevard Jean d’Amou, Bayonne, constitue le Centre de Séjour Surveillé de Bayonne. Elle comprend un rez-de-chaussée, un premier étage et un grenier.

a) Installation du Camp : Voir plans ci-joints
Date de sa création : 11 février 1941
Position géographique : Nord-Est de la Ville de Bayonne
Distance de l’agglomération : Dans l’agglomération
Moyens de locomotion : Néant
Climat : Maritime
Avantages : –
Inconvénients : Possibilités d’évasions – Les fenêtres n’ont pas de barreaux. La clôture n’est pas renforcée.

b) Capacité maximum du camp : 50 détenus
Catégorie d’internés qui s’y trouvent :
Sexe : Masculin
Nationalité : 32 Espagnols, 1 Hongrois, 1 Lithuanien, 1 Français – Antérieurement : Belges, Tchèques, Tangérois.
Race : Blanche
Catégorie sociale ou motif d’internement : Défaut de carte d’identité, activité politique, marché noir ou ordre des autorités allemandes.

Plan du centre de séjour surveillé de Bayonne, "Villa Julia", 26 janvier 1942.

2 – Installation matérielle
Disposition du camp d’après le plan : Voir plan Villa Julia (ci-joint)
Précisions sur les conditions dans lesquelles l’installation est faite :
La villa se trouve à environ 30 mètres du boulevard Jean d’Amou, derrière une fabrique de cartonnages et entourée de l’ancien parc de la Ville. Elle est clôturée par une rangée de grillage et une rangée de barbelés. Quatre lampes placées aux coins de l’immeuble permettent l’éclairage de ses abords la nuit et en facilitent la surveillance.
Matériel de construction : Pierre – Ciment

Plans intérieurs de la Villa Julia à Bayonne, centre de séjour surveillé, janvier 1942.

3 – Services divers
Organisation du camp : Le service comprend deux parties : le service de surveillance et le service administratif.
Le service de surveillance commandé par le Capitaine de Gendarmerie de Bayonne, est effectué par 8 gendarmes et 2 gradés (1 adjudant, 1 chef).
Le Service administratif ou gestionnaire est assuré par un régisseur-comptable qui assure le ravitaillement, l’organisation intérieure et matérielle du camp.

4 – Questions sanitaires
Infirmerie : Pas d’infirmerie. Le Centre possède seulement une boîte à pharmacie contenant quelques désinfectants.
Service médical : Dès qu’un détenu est malade un médecin est appelé.
À ce sujet ce docteur m’a demandé par qui et comment seront payés ses honoraires. De plus, quel est le chapitre qui doit supporter les frais de médicaments lorsque le médecin ordonne un traitement prolongé et que le détenu se retrouve sans ressources ?
Un cahier de visite mentionne le nom des détenus malades, la nature de leur maladie et le traitement qu’ils doivent suivre et au besoin s’ils doivent être conduits à l’hôpital, le Centre ne possédant pas d’infirmerie.
Douches : Pas de douches. Eau chaude seulement à la disposition des détenus. Il serait aussi nécessaire que le service de ravitaillement à Bayonne donne à chacun des détenus la part de savon qui lui revient, ceux-ci pour la plupart n’ayant pas de carte ou ne pouvant s’en servir.
Épouillage : Une cuve et une salle de désinfection sont à la disposition des détenus.
Dératisation : N’est pas à envisager pour le moment.
Médecin-chef : Le médecin est habituellement appelé une ou deux fois par mois.
État sanitaire : Excellent pour le moment.
Épidémies : Néant.
Médicaments : Seuls quelques désinfectants. L’indemnité journalière de 11 f. 50 par jour et par détenu ne nous permet pas l’achat de médicaments. Aucun crédit n’a été prévu ni pour les frais de médecin ni pour les frais de médicaments.
Aménagements envisagés : Douches.

5 – Ravitaillement
L’indemnité journalière de nourriture et d’entretien avec laquelle tous les frais doivent être payés est de 11 f. 50 par jour et par détenu.
Le ravitaillement s’effectue pour les denrées rationnées à l’aide de bons délivrés par le service du Ravitaillement général de la zone occupée des Basses-Pyrénées à Bayonne. La quantité est calculée suivant le taux alloué aux prisons. Il convient de noter que les denrées rationnées telles que confitures, fruits, vin et désormais fromage, ne seront plus distribuées. Il serait utile pour la confection et la variation des menus que ces denrées soient attribuées au taux normal de la population, les internés qui se trouvent dans le Centre ne pouvant être considérés, comme dans les prisons « détenus du droit commun ».
Pour les autres denrées, un barême spécial pourrait être établi en prenant, pour exemple, celui actuellement en vigueur dans les prisons.
Cuisine : Des crédits permettant le renouvellement du matériel usagé de la cuisine et du réfectoire seraient nécessaire.
Menus : Ci-joint 3 exemples journaliers de menus. Lien

6 – Travail

Emploi des internés dans les divers services du camp :
A l’intérieur : Corvées de nettoyage, d’épluchage de légumes, sciage du bois, culture de légumes dans le petit jardin potager.
A l’extérieur : Rien de prévu pour le moment.

7 – Enseignement
Néant : Aucun enfant n’a été interné.

8 – Personnel
Administratif : 1 régisseur-comptable
Divers : 1 cuisinière

9 – Questions diverses
Sport : Exercices physiques le matin.
Culte : Néant.
Incendie : Caisses de sable disposées à chaque étage de la Villa. Eau courante à tous les étages. Des extincteurs à mousse seraient indispensables.
Service de surveillance : 8 gendarmes et 2 gradés assurent le service de surveillance. D’après le règlement des Centres de séjour surveillé, un tour de garde de jour et de nuit a été organisé pour permettre la surveillance permanente du Centre. Deux fractionnaires se trouvent continuellement à l’emplacement des guérites (voir plan).

Centre de séjour surveillé de Bayonne, Villa Julia. Projet de clôture pour éviter les évasions.

10 – Aménagements envisagés
Aucun crédit n’a été accordé à cet effet, en vue du remplacement du matériel usagé à l’exception des crédits de première installation du Centre. Il en résulte qu’aucun aménagement n’a pu être sérieusement envisagé. Néanmoins le matériel ci-dessous est indispensable à la bonne marche du Centre.
Matériel de coiffeur : Tondeuses, rasoir, blaireau, peignes, prescrits par le règlement, devraient être mis à la disposition du Centre. Jusqu’à ces derniers temps, un détenu qui possédait ce matériel a été chargé de ce service. Mais ce détenu étant parti, ce matériel devient indispensable.
Planches à paquetages : Des planches à paquetages ou étagères permettraient une meilleure installation des effets des détenus.
Outils : Des outils tels que pioches, pelles, râteaux, bêches, pinces, marteaux, tenailles, limes, ciseaux à bois, burins, masse-coins, scie, passe-partout, échelle, cordes, pointes, seraient indispensables pour tous les petits travaux à effectuer.
Moyens de transport : Un véhicule avec remorque faciliterait le transport du charbon, du bois et des denrées alimentaires.
L’acquisition d’un vélo-moteur avec remorque serait particulièrement indispensable.
Appareil douche : Serait utile.
Renforcement de la clôture : Des montants grillagés (voir plan) renforceraient la clôture et rendraient l’évasion plus difficile.
Barres des fenêtres : Pour permettre la fermeture de nuit de l’extérieur des fenêtres, une barre (voir croquis) pourrait être placée à chaque fenêtre à l’aide d’un crochet. De cette façon, l’ouverture de la fenêtre de l’intérieur serait impossible. L’escalier intérieur menant au grenier devrait aussi être muni d’une porte.
Appareil contre l’incendie : Un ou plusieurs extincteurs devraient être mis à la disposition du Centre en cas d’incendie.
Habillement des détenus : Les services de la Sous-préfecture de Bayonne interviennent auprès de la délégation départementale du Secours national pour que des vêtements et des couvertures soient mis à la disposition des détenus dont le effets sont en mauvais état.

11 – Production industrielle
Les quantités indispensables de matériaux monnaie-matière nécessaires à la réalisation des aménagements sont Fer : 2.000 kgs – Cuivre : 2 kgs – Chaux et ciment : 100 kgs – Zinc : 40 kgs

Rapport d'inspection du CSS "villa Julia" du 26 janvier 2012.

12 – Questions juives
Un seul Juif est en ce moment détenu au Centre.

13 – État moral
Excellent pour le moment. Certains détenus désireraient travailler à l’extérieur, d’autres regagner leur pays d’origine.

Bayonne, le 26 janvier 1942
Le régisseur-comptable.

En savoir plus…

Il est vraiment surprenant qu’un centre de séjour surveillé comme celui-là ait laissé si peu de traces dans les mémoires, d’autant plus qu’il se situait en plein cœur de la ville de Bayonne. Cela tient peut-être au fait que les internés étaient pratiquement tous des étrangers, Espagnols pour la plupart.

Toute personne susceptible de localiser la Villa Julia, de produire un témoignage, un document d’archive, un courrier d’interné, une photo… sera la bienvenue ! Merci de me contacter.

6 Commentaires de l'article “Un Centre de séjour surveillé oublié : la Villa Julia à Bayonne”

  1. BREBANT DOMINIQUE dit :

    Bonjour Monsieur,
    C’est avec grand étonnement et intérêt que je découvre votre article sur le CSS Villa Julia à Bayonne.La fabrique de cartonnages se situe au 31 boulevard Jean d’Amou. Ce bâtiment existe toujours et a été transformé en immeuble d’habitation. Il possède une façade jaune facilement repérable. Le sigle de l’entreprise figure toujours sur un côté du bâtiment. En 2009-2010, une résidence neuve a été édifiée, adossée à l’ancienne fabrique, à l’emplacement du « jardin potager ». Au-delà de cette petite résidence à 1 étage, se trouve une « maison » ancienne et imposante. Elle a elle-même était divisée en appartements modernes. Je ne sais pas si elle pourrait être la Villa Julia mais elle se situe peu ou prou à l’emplacement figurant sur le plan. À moins qu’il ne s’agisse de la « maison d’habitation » mentionnée en bas du plan reproduit dans votre article.
    J’espère, Monsieur, avoir pu vous apporter quelques informations intéressantes (quoique un peu tardives par rapport à la date de parution de votre texte !). Je tiens à vous remercier de m’avoir permis de découvrir un peu plus le quartier dans lequel j’habite. Cordialement. dB.

  2. Jacky Tronel dit :

    Merci pour ce message. Depuis la publication de l’article, la Villa a bien été identifiée et photographiée par une passionnée d’histoire, Claire Frossard, membre du Collectif pour la Mémoire du Camp du Polo Beyris, à Bayonne.
    Photo ci-dessous :

    Villa Julia à Bayonne, centre de séjour surveillé pour indésirables. Photo Claire Frossard.
    Avec l’historien Philippe Souleau, nous avons depuis découvert d’autres sources d’archives… qui feront l’objet d’un nouvel article sur ce blog ainsi que d’une publication…
    Cordialement, JT.

  3. LOPEZ Angel dit :

    Bonjour,
    Mon Papa décedé en 1957, que j’ai très peu connu, disait avoir étè interné à Bayonne.
    Existe-t-il une liste nominative des internés en ce lieu ? Si oui où puis-je la consulter ?
    Merci

  4. anna dit :

    Bonjour, j’ai la même question que Angel.

    Mon grand-père dit aussi avoir été interné en ce lieu, deux semaines je crois, en janvier 1943.

  5. Isabelle Bonnome dit :

    La liste nominative des internés à la villa julia se trouve sur le site AJPN (Anonymes, Justes et Persécutés durant la période Nazie dans les communes de France)
    D’après ce site à Bayonne il y avait la villa julia, le centre d’internement polo Beyris, la prison du Chateau Neuf.

  6. Jacky Tronel dit :

    Merci pour votre commentaire.
    Pour être plus précis, c’est à Philippe DURUT et à son blog « Retour vers les Basses-Pyrénées » que l’on doit de connaître cette fameuse liste nominative. Elle comprend une trentaine de noms. Voici le lien

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