Le camp de Cepoy en 1940, installé dans les anciennes verreries de Montenon

Les anciennes verreries de Montenon sont situées à moins d’un kilomètre au sud du village de Cepoy, en bordure du canal du Loing, en amont de Montargis. Au début de l’année 1940, un centre de rassemblement pour les ressortissants allemands et étrangers du Loiret est créé à Cepoy. Il occupe les bâtiments de l’usine désaffectée de Montenon. Du 11 au 15 juin, les lieux font office de camp de transit pour les prisonniers de la prison militaire de Paris, le temps d’une étape, au cours du repli qui devait les conduire jusqu’au camp de Gurs.

Verreries de Montenon à Cepoy, Loiret. Jacky Tronel

Le canal du Loing avec, en arrière-plan, les bâtiments des verreries de Montenon. © Coll. Jacky Tronel.

Dès l’été 1937, l’usine désaffectée est réquisitionnée en vue de servir de centre d’accueil pour les réfugiés civils de la guerre d’Espagne. Plus tard, au début de l’année 1940, les anciennes verreries sont utilisées comme « centre de rassemblement des ressortissants allemands et étrangers de sexe masculin ». Quant aux femmes, elles sont dirigées vers le « centre de rassemblement de la Mairie de Saint-Jean-de-la-Ruelle ».

Les 25 mai et 8 juin 1940, le journal Le Gâtinais demande aux « ressortissants allemands et étrangers de nationalité indéterminée mais d’origine allemande résidant dans le département du Loiret appartenant au sexe masculin et âgé de plus de 17 et de moins de 55 ans de rejoindre le centre de rassemblement suivant camp de Cepoy, près de Montargis ».

Or, le camp fonctionnait bien avant le 25 mai 1940…

Journal Le Gâtinais, 25 mai et 8 juin 1940, centre de rassemblement de Cepoy.

Journal Le Gâtinais des 25 mai et 8 juin 1940. © Gaston Leloup, Montargis.

…En effet, sur au moins deux registres d’état-civil sont mentionnés le décès d’Allemands détenus au camp de Cepoy, en février et en avril 1940. Le premier des deux décès de ressortissants allemands est enregistré sur la commune de Giverny, dans l’Eure : « Le 2 février 1940, 23 heures, est décédé à l’hôpital complémentaire St.Louis de Montargis, “Au Château”, Philippe Conrad Stiehl, domicilié à Giverny, Eure, né le vingt septembre mil huit cent quatre vingts, à Biebrich, Allemagne, industriel, détenu civil au camp des étrangers de Cepoy, Loiret, fils de Christian Stiehl et de Margarethe Stieglitz, époux décédés, divorcé en premières noces de Marie Caroline Elionoia Schunch, époux en secondes noces de Nesta Frieda Kosterlitz. Dressé le 6 février 1940 17 heures sur la déclaration de Marie Gaston Albert Mazet, capitaine gestionnaire à l’hôpital St.Louis, y domicilié, cinquante six ans, qui, lecture faite, a signé avec nous Léon Giguet, maire de Montargis, chevalier de la Légion d’Honneur. Transcrit le 22 février 1940 sur les registres de l’État Civil de Giverny par nous, Lucien Duboc, maire de Giverny ».

Le second, Juif allemand, est inscrit sur le registre de décès de la commune de Cepoy, il s’agit de Friedich Rottgen, fabricant en confection, fils de David Friedich et de Sarah, décédé le 19 avril 1940. Le procès-verbal du décès est dressé « sur la déclaration de M. le Commandant Louis Eugène Pinoteau, croix de guerre, officier de la Légion d’Honneur, soixante ans, assurant le commandement du camp de concentration de Cepoy ».

Source : M. Gaston Leloup, Bulletin de la Société d’émulation de Montargis, numéros 91 et 94.

Cour centrale de la verrerie de Montenon, au début du siècle.

La verrerie de Montenon, encore en activité. © Coll. Jacques Chollet.

Le camp de Cepoy est effectivement placé sous le commandement du chef de bataillon Pinoteau Louis Eugène, du 51e Régiment régional d’infanterie. Le 10 juin, ce dernier reçoit l’ordre d’évacuer le camp et de « replier les internés sur un point du territoire à proximité de Marseille ».

Le 11 juin, 1 040 prisonniers en provenance des prisons parisiennes du Cherche-Midi et de la Santé, arrivent à Cepoy. Les condamnés à mort sont isolés et écroués à la maison d’arrêt de Montargis.

Le 14 juin, à 15 heures, sur ordre de l’État-major de la 5e Région qui le destine au commandement de la place de Montargis puis de Gien, Louis Eugène Pinoteau passe le commandement du camp au capitaine Loyeux. Ce même jour, il reçoit de l’état-major d’Orléans l’ordre de transférer les condamnés à l’emprisonnement vers Lodève (Hérault). L’absence de trains disponibles rend l’exécution de la mission difficile. S’agissant des condamnés à mort et des prévenus, le général commandant la 18e Région est invité à « prendre toutes dispositions d’urgence pour incarcération dans locaux disponibles ou pontons », à Bordeaux

Le lendemain 15 juin, les prisonniers quittent Cepoy et empruntent à pied le chemin de halage longeant le canal du Loing, puis le canal de Briare, en direction d’Avord, dans le Cher. Au cours de cet exode pénitentiaire, les « traînards » (prisonniers âgés, épuisés ou malades), au nombre de treize révèlera l’enquête, sont abattus sommairement par les gardes mobiles et les coloniaux qui encadrent la colonne.

Le seul des prisonniers abattus, formellement identifié, est le comte Armand Thierry de Ludre, ancien attaché d’ambassade à Berlin puis journaliste.

Henri Chamberlin, dit Henri Normand, fait partie des prisonniers parmi les plus connus ayant transité par le camp de Cepoy. Écroué le 2 mai 1940 à la prison du Cherche-Midi, il est poursuivi pour « insoumission et usurpation d’état civil ». Il s’évade au cours du transfert qui s’effectuera à pied, au départ de Cepoy, en compagnie de plusieurs prisonniers dont deux espions allemands. Sous le nom d’Henri Lafont, il sera très actif au 93 rue Lauriston (Paris XVIe), siège de la Gestapo française, et formera avec l’ex-inspecteur de police Bonny, le fameux et tristement célèbre tandem Bonny-Lafont. Condamnés à mort à la Libération, tous les deux seront exécutés, le 27 décembre 1944.

Bâtiments en ruines de l'anciennes verrerie de Montenon, cour intérieure.

Façade de l'ancienne verrerie de Montenon, le long du canal du Loing, à Cepoy.

Bâtiments des anciennes verreries de Montenon à Cepoy.

Anciennes verreries de Montenon, siège du camp de Cepoy en 1940. © Photos Jacky Tronel, août 2009.

Maurice Jaquier, communiste puis militant SFIO, secrétaire administratif du PSOP (Parti socialiste ouvrier et paysan de Marceau Pivert), fait le récit de son emprisonnement à la Santé et de son internement au camp de Cepoy, ainsi que de l’exode qui a suivi jusqu’au camp de Gurs, dans un livre publié en 1974 chez Denoël sous le titre Simple militant.

Pour en savoir plus…

5 Commentaires de l'article “Le camp de Cepoy en 1940, installé dans les anciennes verreries de Montenon”

  1. Saulnier dit :

    Je suis né dans la conciergerie de cette usine, en septembre 1945. Je voudrais en savoir plus, Merci.

  2. Jacky Tronel dit :

    Sur ce blog, vous trouverez un autre article faisant mention des anciennes verreries de Montenon : Le repli tragique de la colonne de Cepoy (15-17 juin 1940).
    Pour en savoir plus, je vous suggère de contacter M. Gaston Leloup, président de la Société d’émulation de l’arrondissement de Montargis, auteur de : « Le Camp de Montenon en juin 1940 et l’évacuation des prisons de Paris », publié dans le bulletin n° 94.
    Bien à vous, JT

  3. Anne Furian dit :

    Philipp Conrad Stiehl (mentioned in your blog) was my great grandfather and I am trying to find out more information surrounding his death. Such as why was he in the camp at Cepoy? How/Why did he die etc? What happened to his wife Nesta Frieda Kosterlitz?
    I would be very appreciative if you could let me know where I can find/research this information.
    Many thanks for your time
    Anne

  4. Jacky Tronel dit :

    Bonjour Anne,
    La nationalité allemande de Philippe Conrad Stiehl explique sa présence au « Centre de rassemblement pour les ressortissants allemands et étrangers » de Cepoy, en janvier/février 1940… indépendamment de ses origines juives (le premier statut des Juifs sera fixé plus tard, par la loi du 3 octobre 1940).
    Philippe Conrad Stiehl est vraisemblablement tombé gravement malade alors qu’il était « détenu civil au camp des étrangers de Cepoy ». Son état sanitaire a justifié son admission à l’hôpital militaire le plus proche, au château de Montargis (alors réquisitionné et transformé en hôpital), où il mourut le 2 février 1940.
    Les registres d’état-civil de la commune de Giverny (département de l’Eure, en Normandie) où il résidait, conservent la trace de ce décès. Pour en savoir plus, vous pouvez aussi solliciter les archives municipales de Montargis qui vous donneront peut-être plus de détails, les archives départementales du Loiret à Orléans, ou encore le centre d’étude et de recherche sur les camps d’internement dans le Loiret (CERCIL : 45 rue du Bourdon-Blanc, 45000 Orléans, cercil@cercil.eu)… Ne pas négliger de consulter la presse de l’époque (arrondissement de Montargis) susceptible de mentionner ce décès et de révéler la cause du décès…
    JT

  5. Ori Landau dit :

    Hello Jacky,
    Just like Anne I’m related to one of the Germans you mentioned in this post.
    Friedrich Röttgen (mentioned here) was my second great uncle. I can’t describe how excited I am by this discovery. This is the first real proof I have of his death during World War II (and I am trying to find out more information surrounding his death. Such as why was he in the camp at Cepoy? How/Why did he die etc?)
    I would be very appreciative if you could let me know where I can find/research this information.
    Thank you so much,
    Best regards.
    Ori

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